Doit-on continuer à raconter des contes de fées à nos enfants ?
Lorsque ma fille était petite, je m’étais longuement interrogée, doit-on lui faire croire au Père Noël ? Doit-on participer à ce mensonge ambiant ? Et puis après réflexion, ne pas lui faire croire aurait pu être vécu comme stigmatisant,… Donc avec son père nous avons décidé de jouer le jeu. Ce dont je ne suis pas forcément fière, mais finalement elle l’a plutôt bien vécu et comble du comble, c’est nous qui avons dû lui annoncer que le Père Noël n’existait pas, car à 8 ans, elle avait toujours envie d’y croire.
Comme le Père Noël, les contes de fées font partie de l’Inconscient collectif. Ces histoires sont celles que nous lisons en tant que parents à nos enfants dès leur plus jeune âge, ceci juste avant l’endormissement. Autrement dit, le cerveau peut y travailler pendant la période de sommeil. Interrogeons nous, ces histoires qui s’impriment dans leur inconscient, ne peuvent-elles pas influer, pour ne pas dire conditionner leur comportement de futur.e homme ou femme?
LA BELLE AU BOIS DORMANT
S’il y a un conte de fées de Charles Perrault qui m’exaspère le plus, c’est bien celui de la Belle au Bois dormant qui sous entend qu’en matière de sexualité, la femme devrait attendre que celle-ci lui soit révélée par son prince charmant. Ce qui est loin d’être un cadeau pour l’homme qui doit deviner les désirs de la femme. Et la femme d’être dans une passivité, une attente qui ne sera jamais complètement satisfaite.
Mais qui connaît vraiment la version originelle de la Belle au Bois Dormant ? Dont le titre est « Belle au Bois Dormant : Soleil, Lune et Thalie » écrit par Giambattista Basile, auteur napolitain du 16ème siècle. Voici ce que l’on peut découvrir dans cette première version : Un jour, un roi découvre une princesse endormie. Il la trouva tellement belle, qu’il ne put résister à sa beauté, « il saisit cette proie légère et la porta sur un lit où il cueillit les doux fruits de l’amour ». Le roi n’ayant pas réussi à réveiller la Belle, fit ce qu’il avait envie de faire. N’est ce que l’on pourrait qualifier de viol ? L’histoire ne s’arrête pas là. Une fois la princesse réveillée et ayant accouché de deux bambins, celle-ci de se réjouir du retour du roi, qui lui ayant avoué son geste, tomba amoureuse de lui. « il se fit connaître de la belle et lui raconta ce qui s’était passé, et, l’amitié s’installant, ils en vinrent à des liens plus solides ».
Qu’est ce qui est véhiculé derrière ce conte ? Si ce n’est que cette belle princesse ne peut se trouver qu’ « honorée » dans tous les sens du terme par son monarque et que somme toute, il n’y a rien de choquant à se que l’on abuse d’une femme ou qu’on la considère comme simple « réceptacle » du plaisir de l’homme et/ou de sa progéniture.
LE PETIT CHAPERON ROUGE
Allons voir maintenant du côté du Petit Chaperon Rouge …
Nous sommes en présence d’une jeune héroïne qui est tentée de s’égarer du droit chemin malgré les recommandations de sa mère. Et elle rencontre le Grand Méchant Loup. L’innocente victime en vient à donner l’adresse de sa grand-mère. Et souvenez-vous le loup s’introduit dans la maison de la grand-mère, il prend sa place après l’avoir dévoré et revêt les vêtements de la vieille dame. Lorsque le petit Chaperon Rouge arrive dans la maison, le loup lui demande de le rejoindre dans le lit. Celle-ci se déshabille et rejoint ce qu’elle suppose être sa grand-mère nue dans les draps.
Dans la version originelle (1697) : »Le petit Chaperon rouge se déshabille, et va se mettre dans le lit, où elle fut bien étonnée de voir comment sa mère-grand était faite en son déshabillé. »
Elle interroge sa grand-mère : « Ma mère-grand, que vous avez de grands bras ? » Le loup de répondre « c’est pour mieux t ‘embrasser mon enfant. » …etc et à la question « Ma mère-grand, que vous avez de grandes dents », le loup répond « C’est pour mieux te manger. » Et il se jeta sur le Petit Chaperon Rouge pour la dévorer.
Il est à noter, qu’à aucun moment le petit Chaperon Rouge ne résiste, comme si elle était sidérée par ce qui lui était proposé là. Le petit Chaperon Rouge est en effet bien trop petite et n’a donc pas la maturité nécessaire pour faire face à une relation sexuelle. Dans ce conte, le Petit Chaperon Rouge incarne l’archétype de l’enfant dont la sexualité est naissante, elle expérimente le fait d’être séduisante et d’être séduite. Cependant débordée par des émotions qu’elle ne peut gérer, elle se trouve confrontée à une situation menaçante qui la met en danger.
BARBE BLEUE
Examinons un autre conte comme celui de Barbe Bleue. Celui-ci était un homme si laid que personne ne voulait l’épouser, de plus personne ne savait ce qu’étaient devenues ses épouses précédentes. Il finit par épouser l’une des filles d’une voisine. Un jour qu’il devait se rendre en voyage, il fit promettre à sa jeune épouse en lui remettant les clés de sa demeure, de ne pas ouvrir l’une des pièces: «Voilà les deux grandes clés du garde-meuble, celle de la vaisselle d’or et d’argent, celles des cassettes où sont les pierres précieuses, celle du coffre-fort, celle qui ouvre toutes mes maisons et mes appartements. Mais dit-il cette petite clé là, c’est la clé du cabinet de la galerie. Ouvrez tout, allez partout. Si vous me désobéissez ma colère sera terrible. »
Bien évidemment de la tentation était trop forte. Elle ouvrit hélas la porte défendue. Elle eût une vision terrifiante, celle des corps de toutes les femmes que Barbe bleue avait épousées et qu’il avait tuées. L’émotion était si forte que la clé du cabinet lui échappa des mains et celle-ci s’en trouva tachée de sang, qu’elle ne put enlever. A son retour Barbe Bleue compris au comportement de son épouse qu’elle avait enfreint sa le promesse. Elle fut condamnée à périr comme les autres. Celle-ci pour gagner du temps dépêcha sa sœur de regarder au dehors si elle ne voyait pas leurs frères arriver :« Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? ».
Dans l’analyse que fait Clarissa PINKOLA ESTES dans Femmes qui courent avec les loups, celle-ci nous dit « Tel un rusé chasseur, Barbe-Bleue sent qu’il intéresse la plus jeune des filles, autrement dit qu’elle accepte d’être sa proie. Il la demande en mariage et dans un moment d’exubérance propre à la jeunesse, mélange comme souvent de folie, de plaisir, de bonheur et d’intrigue sexuelle, elle accepte. Quelle femme ne reconnaît pas ce scénario ? ».
Quelle femme en effet au début de sa vie de amoureuse, ne s’est pas retrouvée naïvement dans une situation où elle n’a pas vu le mal qui pouvait se dissimuler. N’est-ce pas dès leur plus jeune âge que l’on inculque aux petites filles d’accepter l’inacceptable si bien que la jeune épouse de Barbe Bleue finit par se dire « Au fond, sa barbe bleue n’est pas si bleue que ça ». C’est demander aux femmes plutôt que de suivre leur véritable intuition, de faire « la gentille », d’accepter une situation qui n’est pas correcte pour elle. « Finalement, ma chérie, de quoi te plains-tu ? Tu as tout pour être heureuse ! ».
Dans le conte, c’est la mère qui demande à Barbe Bleue de choisir entre ses deux filles. C’est sa propre mère qui les « livre ainsi en pâture » sans autre forme de mise en garde.
Que se passe-t-il du côté des animaux. Imaginer la louve qui va chasser. Forcément ses petits vont essayer de la suivre. C’est alors qu’elle va se mettre à gronder, jusqu’à ce qu’ils aient si peur qu’ils n’en aient même plus envie. Car elle sait que ses petits peuvent être une proie facile pour divers prédateurs.
Quelque part ce conte met en lumière le fait que notre mère intérieure est tellement naïve, endormie,… que nous sommes tellement peu bienveillante envers nous même que nous nous jetons dans la gueule du loup et expérimentons parfois des relations destructrices. Espérons qu’un jour, ces femmes ouvriront la porte et verrons ce qui les détruit.
Quant au symbole de la clé qui saigne tout le temps, Clarissa PINKOLA ESTES nous dit très justement « Une femme peut essayer de se cacher la dévastation de sa vie, mais l’hémorragie, la perte de l’énergie, va continuer jusqu’à ce qu’elle reconnaisse le prédateur pour ce qu’il est et qu’elle le maîtrise. Quand les femmes ouvrent la porte de leur existence et découvrent le carnage perpétré dans ces parties reculées, elles s’aperçoivent la plupart du temps qu’elles ont autorisé l’assassinat de leurs rêves, de leurs objectifs et de leurs espoirs vitaux. Des pensées, des émotions, des désirs d’autrefois plein de promesses, gisent là exsangues, sans vie, maintenant ».
En cédant à son prédateur, la femme sacrifie sa créativité, sa Féminité.
Pour résumé très schématiquement, ce qui se passe dans les contes de fées, les femmes ou les jeunes filles sont perçues comme des proies faciles et les hommes ou jeunes hommes comme des prédateurs ?
Dans les deux cas, ce n’est ni flatteurs pour les uns ni pour les autres.
Et si les rôles dans ces contes avaient été inversés, si le petit Chaperon rouge avait été un garçon, la Belle au Bois Dormant un jeune homme et Barbe Bleue une femme d’âge mûre désirant épouser un jeune homme ? Dans quelle société serions nous ?
Même s’il ne s’agit pas pour autant d’inverser les rôles, car ce serait au final pour retomber dans le mêmes travers, la question reste entière : « Que faisons nous lorsque nous racontons des contes de fées à nos enfants ? ». N’est-on pas tout simplement entrain de participer à un conditionnement collectif dont il serait temps que l’on sorte. Tant pour l’image de la Femme que pour celle de l’Homme.
Et si la fonction des contes de fées était de nous maintenir dans une immaturité sexuelle et affective?
Si quelquefois les contes peuvent représenter une mise en garde contre les dangers extérieurs, tel le Petit Chaperon Rouge, interrogeons nous sur l’image de la Femme et de l’Homme qui est véhiculée et qui frappe l’inconscient des jeunes enfants.
Lorsque nous sommes jeunes, nous n’avons pas les clés pour décrypter ce qui se passe dans une relation sexuelle, ni non plus ce qui se joue dans une relation affective.
Si nous n’avons pas eu une mère suffisamment bienveillante, qu’elle n’a pas su, qu’elle n’a pas pu…en raison de sa propre éducation qui ne l’a pas « éveillée » à ce qui se passe dans la monde. Malgré cela, il reste qu’en tant qu’adulte, c’est à nous « d’ouvrir les yeux », d’être bienveillant.e. envers nous même, soyons notre « mère intérieure » (Cf un article à paraître prochainement sur le « Père intérieur »).
Et vous…Demandez-vous quels contes aimeriez-vous raconter à vos enfants, petits enfants, neveux, nièces… afin qu’ils deviennent des adultes au vrai sens du terme?
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